Nono se finit




- Peut-on faire confiance à la médecine chinoise qui nous fait bouffer de l'écaille de pangolin et massacrer des rhinocéros alors que le Viagra est en vente libre ?

- Peut-on faire confiance aux labos chinois qui laissent les virus partir en vacance sans l'autorisation du gouvernement ?

Dégât collatéral de l'incurie chinoise, Nono était né lors du premier confinement. Trente cinq épisodes quotidiennement taillés dans le gras de l'âme humaine. Et même inhumaine puisqu'on y croisait des ministres. Pour les retardataires c'est Là !.

Aujourd'hui Nono is back ! Cinq épisodes inédits taillés dans la sueur massive.

 

EPISODE 1 : PLUS TU T'ANGOISSES,  MOINS ÇA VA MIEUX.

Suite à ses entraînements clandestins et quotidiens lors du confinement, Nono est devenu accro à un sport de masochistes, le triathlon. Après avoir pris goût à pédaler et courir lors du confinement Nono s'est mis à la natation Parce qu'il a vu aux jeux paralympiques qu'on pouvait nager sans bras et sans jambe il s'est dit qu'étant encore pourvu de ces accessoires il avait quelque chance dans la discipline.

Privé du piment provoqué par la délinquance il a cependant pratiqué régulièrement le Vtt et le trail et fini par s'inscrire au championnat de France de Cross Triathlon. Cette discipline est la même que le triathlon classique mais on fait du Vtt  et on court en pleine nature, avec de grosses montées, de grosses descentes, de la boue, des racines glissantes, des dévers vicieux, des arbres belliqueux  et de gros rochers pour se fracasser en bas. 

Pour le moment la natation se fait encore sur le plat.

S'inscrire à ce genre de compétition traduit évidemment un certain nombre de troubles du comportement. Vouloir être champion pose déjà un gros problème d’ego,  quelles frustrations gravissimes sont derrière cette quête ? Aimer souffrir en pose un second, quels traumatismes cache cette volonté ? Et l'on ne peut passer sous silence qu'il faut de surcroît payer pour endurer ces épreuves. Payer une inscription, payer le voyage pour s'y rendre, payer un vélo dont la principale performance tient à son prix, payer des chaussures honteusement onéreuses et payer une combinaison pour pouvoir sortir de l'eau glacée autrement que dans le canot des sauveteurs. De grands penseurs se sont certainement déjà penchés sur ces comportements déviants, Nono a lâchement décidé de s'en remettre à leurs conclusions. Le plus tard possible.

La course se déroulant le samedi, le vendredi matin voit donc Nono  installer tout son matériel dans son camping car et prendre la route le cerveau en ébullition. 

- Qu'est-ce que j'ai oublié ? 

Il passe en revue les indispensables lunettes de natation, combi, chaussures, vélo. La roue avant ! Il a démonté la roue pour faire entrer le vélo dans la soute. La roue avant ? Un doute l'assaille ! Stop, descente en catastrophe. Ouverture de la soute. Ouf ! Fermeture de la soute. Doute, réouverture de la soute ! L'axe de la roue avant ? 

- Calme-toi Nono lui dit l'axe de roue en se rendormant. 

Redémarrage. Passage en revue de tout le matériel. Cent bornes plus loin c'est le drame, la licence, où est cette licence ? Avec la carte d'identité certainement. La carte d'identité, où est la carte d'identité ? Le doute ronge Nono. Stop, fouille à corps du portefeuille. 

- Calme-toi Nono lui disent les papiers en reprenant leur place. 

Pendant deux heures tournent en boucle le porte-dossard, les chaussettes, le casque, le cardio-fréquencemètre, les gels énergétiques, les lunettes, la pompe et des trucs aussi vitaux que le troisième démonte-pneu. Puis Nono embraye sur la combi du club, la casquette, le compteur, la montre et des choses cruciales comme trois épingles de nourrices pour fixer le dossard.

Il était prévu que Nono arrive vers midi pour pouvoir reconnaître les parcours mais les championnats de France sont l'occasion pour les participants et leur famille de découvrir la France. Profonde. Les confins de l'Ardèche et de la Haute-Loire sont magnifiques, magnifiquement isolés et paumés, magnifiquement à l'abri des autoroutes et des routes droites. Vers les quatorze heures Nono découvre enfin sa destination, un lac entouré de sapins. De sapins. Et de sapins. Et rien d'autre. Au bord du lac seulement trois humains. Nono est d'un naturel anxieux, alors un plan se profile. La date, ne se serait-il pas simplement trompé de date ? Faire quatre cents bornes pour arriver à un endroit où il se passera quelque chose la semaine suivante serait relativement ballot n'est-ce pas ? Surtout que ces gars ont l'air de tout sauf d'organisateurs d'un championnat de triathlon.

- Un championnat de quoi demande le plus rougeaud ?

- Glouc, répond Nono la gorge serrée par un doute affreux. 

Un camping car arrive, deux Vtt fixés à l'arrière. Nono reprend vie et accueille les nouveaux arrivant avec le sourire du pape débarquant au paradis et voyant enfin Jésus Christ ! En plus les gars ont l'air des tueurs habituels de ce genre d'épreuve, jeunes vigoureux beaux gosses, barbes de trois jours, tenues funs et lunettes profilés. Nono qui d'habitude les snobe a aujourd'hui envie de les embrasser, il s'approche et les salue mais les gars le regardent avec l'air dégoûté des citadins découvrant des ploucs. Nono se mire dans la fenêtre du camion et constate qu'effectivement, il n'a pas la belle tenue d'athlète homologuée par les vendeurs de fringues et d'accessoires divers. Il va falloir qu'il travaille un peu ce côté-là s'il veut devenir champion de France. Avec l'air du disciple s'adressant au Seigneur Nono demande aux gars s'ils viennent pour la course. Ils le gratifient d'un  Ben ouais : c'est là ? auquel Nono est bien en mal de répondre. Le cerveau de Nono s'apprête à déclencher des pleurs quand arrive le Messie. Un type sort du bois avec un Vtt et il porte… il porte… une chasuble sur laquelle sont imprimés les lettres magiques, FFTRI. Ce gars appartient à la fédération de triathlon, un triathlon va donc certainement se dérouler bientôt ici, Nono, décidément trop émotif a envie d'embrasser aussi celui-là ! Les tueurs discutent déjà avec le Messie qui indique du bras la direction du bois, puis tortille la main et la fait monter et descendre en désignant le tour du lac. Ce qui semble signifier qu'un parcours est tracé. Joie.

Un quart d'heure plus tard Nono tient sa revanche sur les tueurs. Il les suit sur le parcours parfaitement balisé, les gars se retournent fréquemment et accélèrent mais Nono suit tranquillement. Nono sait ce qui se passe dans leurs tronches ; ils se disent qu'ils viennent pour être champions de France dans la catégorie jeunes et ce vieillard qui les suit paisiblement les fait douter. Ils accélèrent et entament une montée dantesque en faisant fi de leurs résolutions de faire un repérage tranquille. Arrivés en haut ils se retournent pour constater que Nono arrive également, même pas essoufflé. Le premier pète un plomb et se jette, suicidaire, dans la descente de la mort qui tue suivit de son coéquipier qui débranche le cerveau et tente aussi de mettre fin à ses jours. Après avoir survécu à la descente ils attaquent une grosse montée pour costauds et arrivés en haut décident de s'octroyer une petite pause. Malheureusement pour eux voici Nono sourire aux lèvres. Renonçant à comprendre les gars redémarrent comme des cinglés suivit par un Nono admiratif de leur vigueur. Bon, tu de doutes bien qu'il y a un loup,  je sens qu'un second épisode s'impose.

 

EPISODE 2 : MOINS ÇA VA MIEUX,  PLUS TU T'ANGOISSES.

Nono reconnaît donc le parcours en suivant les deux excités en mode à bloc pour semer le vieux, ce qu'ils ne parviennent pas à faire. Ils jettent régulièrement des regards sournois mais anxieux derrière eux et découvrent chaque fois le même cauchemar : Nono. Les montées techniques et violentes ? Nono. Les zigzags au milieu des sapins agressifs ? Nono. Les grands bouts droits où la puissance parle ? Nono. Les descentes en tentant de rester sur le marron et d'éviter le vert sur les côtés ? Toujours Nono. Dingues, ils deviennent dingues. Au bout de onze kilomètres ils retrouvent leur point de départ. Et Nono. Qui les dépasse et leur fait l'aumône d'un petit signe de la main en entamant un deuxième tour sur son Vtt ELECTRIQUE…  Eh… faut vraiment avoir du mou de veau à la place du cerveau pour avoir cru que Nono ne trichait pas.

Quand on dit du mal de vous il paraît que vos oreilles sifflent, Nono entend un puissant sifflement dans les deux, et plaque un grand sourire en travers de la tronche. Pourquoi se ruiner la santé en reconnaissances épuisantes ? 

Le parcours est vraiment sympa, pas trop piégeux bien que très humide, assez roulant parfois, bien technique à certains endroits, genre un tronc en travers du chemin, mais Nono se dit que c'est faisable puisque les deux furieux l'ont fait. Lui avait prudemment mis pied à terre et soulevé le vélo, là c'est deuxième tour et la reconnaissance c'est aussi les essais n'est-ce pas ? Nono essaie donc le franchissement, l'idée étant d'envoyer les watts en levant la roue avant. Mauvaise idée ; l'avant passe mais pas l'arrière qui se plante gravement dans le bois dur, projetant le Nono vers l'avant tandis que le vélo reste bloqué. Le guidon d'un vélo est fixé sur une pièce métallique nommée la potence, très résistante. Nono possède un appareil reproducteur fournit par la nature à tout individu de sexe masculin mais moyennement destiné à rencontrer une potence. Nous retrouvons donc Nono empêtré dans un roncier et tentant de reprendre le contrôle des ses poumons qu'une extrême douleur a vidés de leur contenu. L'appareil de Nono semble être remonté sous son menton mais il ne tente même pas la vérification tout occupé qu'il est à attendre que les deux soufflets à l'intérieur de sa cage thoracique veuillent bien reprendre leur fonction de base, à savoir pomper de l'air dans la nature ambiante. La fin du second tour sera donc empreinte d'une douceur bienveillante.

Au retour la situation a évolué et une saine agitation règne au bord du lac, on décharge des barrières, on déroule des moquettes bleues, ça commence à ressembler. Nono glande un peu là au milieu lorsqu'un type l'aborde, un vieux. Qui lui demande s'il est bien dans la même catégorie que lui. Nono doit se résigner à l'évidence, c'est oui, Nono est bien dans la catégorie des vieux. 

Et en voilà un autre, beaucoup plus jeune, le genre de type que l'on doit instinctivement haïr. La gueule de Robert Redford, le sourire de Belmondo, des épaules larges comme ça et affuté comme une lame. Et voilà qu'il raconte qu'il est aussi dans la même catégorie, Nono va vomir, il y a un tueur dans sa catégorie ! En plus il est sympa, n'a pas l'air de se prendre la tête et il s'appelle Patrick, sans déconner, c'est vraiment un prénom de vieux ça ! Autour d'eux maintenant, plein de gars qui ont tous des têtes de champions de France, avec du matériel de champion de France et des airs de champions aussi, des beaux sourires, des belles gonzesses, des airs de douter de rien. Nono aimerait bien avoir aussi l'air mais il a surtout l'air d'un mec qui vient de s'exploser les burnes et affiche le sourire qui va avec, crispé. Il décide donc de rejoindre le camping. 

Une heure plus tard il s'est douché, a remis plus ou moins en place les orphelines et il déguste une bière en admirant le coucher de soleil sur le lac, c'est trop bon le triathlon. Mais la solitude pousse à la réflexion et commence pour Nono la douloureuse expérience du doute sidéral qui engendre la cogitation stérile mais infinie. Nono prépare son repas en se disant que cette inscription n'était peut être pas une si bonne idée, puis il mange en revoyant toutes les têtes de tueurs qu'il a croisées. La vaisselle le voit refaire mille fois le franchissement du tronc d'arbre et se vautrer immanquablement en portant la main à sa braguette. Puis il se met au lit et tente de lire jusqu'à avoir sommeil et cesser de penser à la course de demain avec les tueurs qui veulent tous être champions et qui vont s'en donner les moyens. Ils vont utiliser tous les moyens, déjà en natation. Coups, tirage d'épaule, arrachage de lunettes, tirage de pieds. Les salauds. En vélo ils vont le serrer, le talonner jusqu'à ce qu'il craque et se colle par terre. S'il survit à ça reste la course à pied, leur souffle derrière lui dans les passages étroits. Alors il accélère,  trébuche et tombe dans un roncier ! Nono se réveille, il est trois heures du matin, départ dans treize heures. Dans treize heures il sera dans l'eau, glacée, avec les tueurs. Puis il se perd, plus personne devant, plus de marques sur les arbres ou au sol, il a loupé un embranchement, il faut qu'il s'arrête et rebrousse chemin, puis un type le double. Ah non, pas perdu. Et si le type était aussi sur le mauvais chemin ? Il ralentit, s'arrête? pas de pancarte, plus personne, paumé. Il se réveille, c'est le jour de la course, départ dans neuf heures.

Nono déjeune sans appétit. Maintenant il faut tuer le temps en attendant le départ. Nono met le nez dehors et va aux nouvelles, température extérieure onze degrés, l'eau sera glacée. Au bord du lac l'activité reprend, podium, sono, arche gonflable pour l'arrivée. Des tueurs partout, rigolards et décontractés. Beaucoup vont reconnaître le parcours. Nono saisit quelques bribes de conversation, taux de cyanobactéries trop élevé dans l'eau, il se pourrait qu'on remplace la natation par une première course à pied. Nono repense à ses séances d'entraînement à la piscine. Tout ça pour rien ? Ah les saloperies de cyanobactéries ! Puis il repense à l'eau glacée. Finalement il pourrait y échapper et il se prend à aimer les cyanobactéries. Les cyanobactéries deviennent un vrai sujet d'actualité, on est pour ou contre, on ne sait rien mais on s'excite, on tranche. La rumeur est là, elle court. Les pro-cyanobactéries qui préfèrent éviter la natation savent qu'ils sont super forts en course à pieds et qu'ils vont l'avoir ce titre. Ceux qui maudissent ces saloperies se disent qu'un triathlon sans natation ça ressemblera juste à un duathlon. Ils comptent les heures qu'ils ont passées à la piscine, le soir, en plein hiver, tout ça pour se faire souffler le titre par des mecs qui ne savent même pas nager. Nono s'est octroyé le droit de s'en foutre et est maintenant le seul décontracté parmi cette bande d'excités.

Trois heures avant la course il faut bouffer. Sans appétit il se cuit quelques ravioles et avale une tranche de jambon cru. Puis il sort le vélo qu'il a révisé dix fois déjà. Horreur, pneu arrière à plat. Vite la pompe, il gonfle, rouge, essoufflé. Le pneu est monté sans chambre, il écoute et perçoit un petit chuintement. C'est la valve qui fuit. Il met un peu de bave là-dessus et une belle bulle se forme. Nono a le cerveau qui bout,  sort une pince et resserre la valve. Bave. Encore une bulle. Resserre encore. Bave. Bulle. Il respire à fond. Départ dans deux heures. Chambre à air, il faut mettre une chambre à air. Il démonte le pneu, le produit colmatant à l'intérieur lui colle aux mains, c'est du latex et ça sèche au contact de l'air, une horreur. Il nettoie le pneu, monte une chambre à air, gonfle. Quelle pression maintenant ? Trop haute et on patine trop basse et on crève. Nono à l'oreille qui saigne à force d'essayer de détecter une nouvelle fuite. Le mieux est d'attendre et de se calmer. Il va faire une petite sieste, s'allonge, fermer les yeux, se calmer. Paf, la sono en bas se met aussitôt en route et la course lui saute à la gueule. Champion de France ça se mérite.

 

EPISODE 3 : PLUS TU SOUFFRES, PLUS C'EST MEILLEUR : ALLONGE-TOI SUR CE DIVAN.

Une heure à écouter les essais de la sono, les annonces de la sono, Nono se force à rester couché pour ne pas aller voir le pneu toutes les cinq minutes. Puis c'est le moment, le pneu a tenu la pression, Nono s'habille, rassemble ses affaires de courses et descend au parc à vélo. Plus de tueurs, que des braves types qui sont là pour diverses raisons que la psychanalyse à renoncé à expliquer mais qui vont se la donner sévère et vont y prendre plaisir. 

Les arbitres semblent avoir été briefés par Hitler lui-même, ils sont déplaisants et visiblement imbus du petit pouvoir qu'on leur a conféré. A l'entrée du parc vérification du vélo, du casque et du dossard, pas un sourire, que des gueules fermées et des regards soupçonneux. Dans le parc à vélo ils traquent la serviette mal placée, le vélo mal accroché ou le sac qui traine, la faute quoi. Pauvre Nono qui ne le sait pas encore qu'il fera, LA faute. Il a déballé ses affaires et roule son sac dans un coin. Interdit. Verboten. Nicht.

- Ah, fait Nono, on le range où alors ? 

- Pas de sac, c'est tout, répond  le kapo.

- Pas de consigne ?  s'étonne Nono.

- Eh non ! fait l'autre avec l'air satisfait qui te dit que c'est lui le chef et qu'il va bien en jouir.

- Faut que je le ramène à la voiture alors ?

- Eh oui ! fanfaronne le crétin galonnée.

 Les orphelines de Nono déjà malmenées hier lui remontent sous le menton. Il prend le vélo et remonte le sac jusqu'au camping car en vitesse, redescend et veut entrer de nouveau dans le parc.

- Vérification, fait le cerbère.

- Mais je viens de passer il y moins de dix minutes, s'étrangle Nono.

- Vérification vélo, casque dossard, récite l'entêté.

- Ok Nono, souffle un peu, un coup de boule te soulagerait mais risque de bloquer un peu la situation.

Alors Nono retourne sagement dans le parc, récupère son casque et son dossard, enfile le tout, ressort, attrape son vélo et se présente comme il l'avait fait juste avant à la komandantur. Prenez un type normal et donnez-lui le moindre pouvoir… Aussitôt dans le parc un nouvel arbitre vient lui intimer l'ordre d'évacuer les lieux, c'est l'heure. Il faut alors à Nono beaucoup de sang froid pour ranger correctement ses affaires et mentaliser le moment où il devra les récupérer. Les lunettes dans le casque, dans le bon sens, les chaussures bien ouvertes avec les chaussettes dedans, bien ouvertes aussi. Et l'autre qui derrière répète en boucle qu'il faut sortir. Nono remet d'une main le boulier en place, attrape de l'autre la combinaison les lunettes le bonnet et la cagoule et sort du parc bien remonté, chaud bouillant : il va la faire cette putain de course et ça va saigner.

Le bord du lac grouille de pingouins noirs avec des bonnets roses. On tourne les bras, on hausse les épaules, se plie et se déplie. Ambiance tendue. On rassemble les pingouins qui s'engouffrent derrière la ligne de départ. Ambiance électrique. Les premiers sont en position de course, penchés pour un sprint et tout le monde a le doigt sur son chrono. Plus un bruit, que des respirations sauvages, des volontés tendues. Nono se dit que c'est quand même un peu magique un départ de triathlon, un peu ridicule aussi.  On va s'arsouiller pendant deux ou trois heures et chacun veut déjà gagner quelques dixièmes de seconde. Mais la pompe à adrénaline turbine à pleins tuyaux, c'est la course, le plaisir de la course, le shoot.

Bang. Partis. Ruée dans l'eau glacée, choc thermique. Nono voulait la faire sage et paisible pour ne pas surcharger tout de suite le cœur. Perdu, le premier qui le double et un ennemi. Nono se dit qu'à son âge il devrait plutôt faire du sport comme tout le monde avec une bière et une télé. Ça frotte, ça cogne un peu mais au bout de deux cent mètres c'est un peu plus calme. Nono se prend quand même quelques claques et un salopard nage sur ses jambes. Nono se dégage. Frotte un corps à sa droite et prend une tarte sur la tête. Une fille ! C'est une fille qui vient de le taper ! Il se décale à gauche, touche. Une claque encore. Encore une fille ! Nono est entouré de filles et elles sont toutes plus agressives les unes que les autres ! Tout au long du parcours natation les gars tiendront leurs distances mais les filles bastonneront comme des furies. O tempora, o mores s'indignait déjà Cicéron. Mais bon, personne n'est là pour la philosophie alors Nono nage au chaud dans sa combi et sa cagoule et glisse entouré de ses sirènes furieuses. Et il  glisse plutôt bien parce que le parc à vélo est encore bien plein lorsqu'il arrive. Soudain il voit Robert Redford déjà prêt à partir pour le vélo. Toujours aussi sympa le gars lui lance Allez Nono ! Et il s'enfuit.

 

EPISODE 4 : SORS DE CE DIVAN ET PEDALE !

Ben ouais ça dure, parce que c'est long de décrire tous les sentiments qui te traversent pendant une course. Et Nono est un sentimental, alors sur ce sujet il s'étend volontiers, c'est sa façon de partager.

Bon, l'autre tueur vient de s'enfuir devant Nono et commence la partie Vtt. Coup d'œil rapide sur les autres vélos de la catégorie : tous encore là. Robert Redford est donc premier et Nono deuxième. Quitter la combi debout sur un pied après vingt minutes de natation pose quelques problèmes d'équilibre, surtout que la combi est bien collée aux mollets de Nono et ne veut plus les lâcher. Obligé de poser son derrière par terre il se retourne les dix doigts à virer cette ventouse et enfile les chaussettes sur ses pieds mouillés. Cool Nono, surtout pas de pli. Les chaussures, bien serrer mais pas trop. Debout. Casque lunettes dossard et fonce. Le cœur est déjà dans des zones déconseillées par la médecine, même tolérante, aujourd'hui on ne fait pas le beau avec un vélo électrique, il faut de la grosse cuisse. 

Nono avait prévu d'assurer tranquille en vélo pour pouvoir faire une bonne course à pieds mais le plan tombe à l'eau ; assurer en vélo quand on est deuxième c'est renoncer. Alors il part comme un taré et au bout de dix minutes d'efforts aperçoit enfin Robert. Arrive une monstrueuse descente suivie d'une monstrueuse montée. On est très exactement au barrage-talus qui tient le lac et on va descendre tout en bas et remonter tout en haut de cette butte, environ cent cinquante mètres plus loin. C'est de l'herbe mouillée et c'est en dévers tout le long. Tout le monde remonte en travers le long du dévers et finit par glisser et chuter. Nono choisit alors l'option Banzaï, tous les watts pour prendre le plus de vitesse possible et remonter ensuite face à la pente. Il arrive en haut avec les deux cuisses explosées mais toujours sur le vélo. Bingo, Robert est désormais derrière, Nono premier. Mais Robert est du genre têtu, de la race Haut Savoyard, il a décidé de ne pas lâcher et il a du métier. Chaque fois qu'il se rapproche suffisamment de Nono il l'encourage. Allez Nono ! Ah le pervers, comme on la connaît bien ta chanson ! Nono est aussi un spécialiste de l'intox, Allez Nono n'est pas un encouragement, Allez Nono veut dire  Mesure Nono comme je suis près de toi et comme je peux encore parler alors que toi tu es aux trois quart asphyxié !

Le sport de compétition est vraiment un truc puissant. Un individu normal ne descendrait pas comme le fait Nono, un individu normal ne solliciterait pas son corps ni son cœur comme le fait Nono, mais un individu normal ne connaîtrait pas cet état dans lequel te plonge la course. Le cerveau tourne beaucoup plus vite et contrôle tout avec une lucidité diabolique. Les trajectoires, les obstacles, les pièges, les concurrents. Il envoie au corps le fabuleux message Tu peux le faire et le reste suit. C'est de la magie, c'est le bonheur de sortir de son corps et d'admirer quelle merveilleuse machine il est. C'est le dédoublement parfait, Nono est à la fois le maître intraitable et l'exécutant sans faille. Et la magie tient à ce qu'il sait que tout peut finir à chaque instant et que chaque seconde à ce rythme est une victoire sur la si triviale condition humaine. En course on s'élève et le plus jouissif est que la lucidité s'élève aussi , alors on profite de chaque seconde, de chaque détail. Du gros têtu qui avionne derrière et a aussi décidé que cette course était pour lui. De la nana que tu atomises dans les descentes et qui t'enfume dans les montées. Du chien peinard qui regarde passer les excités avec son air de chien peinard, de tous ceux qui te doublent parce qu'ils ont moins bien nagé, des premiers qu'on croise parce qu'ils sont déjà sur le retour et de tous ceux qu'on croisera quand qu'on sera sur le retour. On profite de chaque bosse, de chaque caillou, de chaque racine, de chaque arbre parce qu'ils sont autant de victoires. Et on profite des heures qu'on a passées à entraîner son corps et son mental pour justement profiter de ces instants fabuleux que procure LA COURSE.

Et Nono se dit que se payer ce plaisir à son âge est quasi miraculeux, c'est le résultat d'une chance inouïe, de concours de circonstances improbables et d'une alchimie incroyable. Et que tant que ce sera possible il faudra en profiter, ne serait-ce que pour remercier la chance.

Bon Nono, faut quand même pas non plus trop t'élever parce qu'à un moment l'atterrissage risque d'être périlleux. Certains passages en sous-bois se font pratiquement de nuit dans une forêt si dense que la lumière ne la pénètre plus, mais les racines, elles ne dorment pas. Puis c'est le bord du lac et de nouveau le soleil, un diabolique sentier à travers d'énormes sapins, puis le bien nommé tronc des baloches. Nono saute du vélo, le soulève en courant, franchit le tronc et remonte en selle, mais dééééééééélicatement, vous savez pourquoi... Et puis c'est la sono, le bruit et on arrive à la fin du parcours Vtt. Nono va devoir entrer dans le parc à vélo, suspendre l'engin en suivant bien la procédure sinon c'est la pénalité, quitter le casque, faire tourner le dossard pour le présenter à l'avant. Il sait que les disciples d'Adolf veillent et seront féroces ; rester lucide et efficace.

Départ pour la course à pieds, sensation toujours incongrue après une heure vingt à fond sur un vélo. Les jambes surprises, déstabilisées après moins de trente secondes de transition, nouvel effort, nouveau défi pour Nono parce que l'ami Robert Redford est tout près et qu'il n'est pas venu pour enfiler des perles.

 

EPISODE 5 : METS DU CHARBON ET T'OCCUPE PAS DE LA FUMEE. 

Deux tours de quatre kilomètres, c'est assez plat et Nono chope rapidement le bon rythme. Coup d'œil au cardio, zone rouge mais le petit muscle est bien entraîné. Coup d'œil à la vitesse, bien. Nono se dit qu'à ce rythme il devrait pouvoir enfiler un maillot bleu blanc rouge à l'arrivée. Nono est un rêveur. On passe de chemin dur en sous-bois tapissé d'épines, de bord de lac bosselé en pontons en bois survolant l'eau. Joli, sympa. Nono commence à ramasser quelques concurrents, bon pour son moral. Un œil sur la vitesse, un sur la trajectoire et le cerveau qui turbine pour savoir s'il doit se retourner pour surveiller ses arrières ou les ignorer. Nono avionne autour de douze kilomètres heure, ce qui sur ce terrain est bien correct, il choisit donc de se concentrer sur l'effort et d'oublier Robert.

Fin du premier tour et voici ce qu'on appelle la penalty box. C'est assez spécifique au triathlon. Avec ce règlement très strict tu peux te choper une pénalité qui consiste à t'immobiliser dans la penalty box pendant un temps déterminé. La penalty box est précédée d'un panneau d'affichage prévenant les numéros untel ou untel qu'il va falloir s'arrêter pour purger sa peine. Nono n'a bien sûr aucune raison d'avoir une pénalité mais il consulte néanmoins le panneau d'affichage d'un œil distrait. Bonne idée Nono, parce que le numéro 97 c'est justement le tien ! Allez, on vous épargne le chapelet de jurons et de considérations diverses qui traversent les lèvres de Nono et on passe directement dans la boite. Quinze secondes annonce l'arbitre.

- Pourquoi questionne Nono ?

- Sais pas, répond le gars qui prend lentement un stylo, lentement son carnet, et barre lentement le numéro quatre vingt dix sept avant de déclencher lentement son chronomètre.

Avec l'air bien enfoiré de ce qu'il est. Bien sûr que Nono songe au meurtre, d'autant plus que sur la table se trouve une bouteille d'eau et que Nono, les pattes collantes suite à l'ouverture un peu foirée d'un tube de gel énergétique, attrape la bouteille pour se rincer les doigts. L'autre fait alors un vrai caca nerveux et se met à hurler Touche pas ma bouteille ! Oha comme il est désagréable ce garçon ! Puis il regarde son chronomètre et murmure le plus bas possible en gardant le nez dans son engin.  

- C'est bon.

Il est alors temps pour Nono de quitter le mode Killer et de repasser en mode Runner. Bon, encore un tour, et Robert n'est pas passé devant pendant la pénalité, reste à retrouver le bon rythme et à le garder. Le cerveau de Nono commence alors à échafauder trois millions d'hypothèses à la seconde concernant cette pénalité, qui nuisent à sa concentration. Tiens Nono regarde devant : un gars à doubler. Nono double. Et là-bas ! La nana qui t'avait largué à la fin du vélo ! Nono vas chercher la nouvelle proie et le voilà de nouveau dans la course, dans l'effort tendu.

Puis c'est le passage sur le long ponton en bois sur le lac, arrivée dans deux kilomètres. Nono court léger, tonk tonk tonk font les chaussures sur le bois. Tonk tonk tonk répète le ponton. Oh oh, de l'écho ? Gargl  fait la gorge de Nono lorsqu'il se retourne : Robert is back ! Il ne ressemble plus beaucoup à Redford vu la grimace qu'il fait, mais c'est bien lui, là, juste derrière Nono !

L'heure de vérité est arrivée Nono, c'est maintenant qu'on va voir si tu as vraiment de la tripe  parce que la mathématique est imparable : si Robert Redford est là c'est qu'il a couru  plus vite que toi.  Et c'est désormais à toi de monter le niveau si tu ne veux pas te repasser cette course pendant des jours en te disant que tu aurais dû… Il n'y a pas de tu aurais dû, là c'est tu dois. Tu dois faire comme si tu n'étais pas déjà complètement carbonisé, tu dois bouger ton gros derrière, tu dois larguer Robert tout de suite. Nono téléphone à son cœur pour lui annoncer la nouvelle et le petit muscle demande s'il a juste pensé à regarder le cardio avant de téléphoner. Nono jette un coup d'œil : on est dans le rouge foncé.

- Ok plaide Nono, mais après la zone rouge ?

Le petit muscle consulte son mode d'emploi et annonce qu'effectivement… existe une zone noire.

- Ben voilà : zone noire, deux petits kilomètres seulement fait-il, mielleux.

Alors tout le monde se met au boulot, le cerveau ordonne aux pieds d'envoyer plus loin derrière et aux jambes d'accélérer la cadence, le cœur ordonne aux ventricules  on met du charbon et on s'occupe pas de la fumée.  Nono regarde la montre, douze virgule cinq à l'heure, bien. Il décide de regarder derrière seulement au milieu de chaque ligne droite, Robert ressemble de moins en moins à Redford mais est toujours aussi près. Nono téléphone encore, message d'absence au niveau du cœur. Il laisse un message sur le répondeur Tiens le coup je m'occupe du reste. Cadence cadence pense Nono ; allonge allonge, tes bras tes bras, sers-toi de tes bras et penche un peu vers l'avant. La montre raconte treize à l'heure. Ligne droite, Robert a un peu lâché. Concentré Nono concentré. Moment hors du temps, les yeux fixés sur l'arche bleue d'arrivée, la sensation d'être seulement vitesse, légèreté, efficacité. Dernier virage, légère montée, coup d'œil, plus de Robert. Sourire, passage de la ligne, mission accomplie. Premier.

Quinze secondes plus tard arrive Robert, c'était trop bon alors on se serre, on s'embrasse, parce qu'on se l'est bien donnée et que l'un sans l'autre on aurait jamais fait aussi bien. Une bonne arsouille crée des liens et celle-là était fameuse. On cause, et on refait la course, on se dit que tu descends vraiment bien, on se dit que tu m'as quand même bien repris à pied et on se dit qu'on a quand même bien tournés et qu'on en a mis un bon paquet derrière.

Et on arrive au parc à vélo et Nono voit sa combinaison qu'il a posée sur le rack vélos, c'est interdit et ça coûte quinze secondes de pénalité. Nananère…

 

PS :

Quatre moi après cette aventure on a diagnostiqué à Nono un vilain cancer du rein, vilainement métastasé. Alors le petit paragraphe Nono se dit que se payer ce plaisir à son âge est quasi miraculeux, c'est le résultat d'une chance inouïe, de concours de circonstances improbables et d'une alchimie incroyable. Et que tant que ce sera possible il faudra en profiter, ne serait-ce que pour remercier la chance ; prend beaucoup de saveur...

Nono compte désormais sur cette chance et sur la médecine moderne pour avoir le plaisir, un de ces jours, de les remercier toutes les deux.

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